ordre, autorité, nation : néo-RÉPUBLICANISME en somme ?

Gaël BRUSTIER

 

Votre article, Monsieur Terray, m’a surpris. Inutile de vous dire le sentiment que m’inspire le volontaire amalgame que vous pratiquez entre Marcel Déat et Jean-Pierre Chevènement. Vous avez sans doute trouvé l’opportunité d’écrire votre article en croisant au fil des rayons des bouquinistes l’opuscule néo-socialiste daté de juillet 1933… Mais les amalgames ont ceci de dangereux qu’ils peuvent très vite se retourner contre leurs auteurs.

 

Vous jouez sur les mots : « ordre, autorité, nation » sont le slogan des « néos » de 1933 et sont présent dans le discours du candidat Chevènement. L’ordre est-il pire que la loi de la jungle ? « L’autorité du maître » est-elle pire que l’école « lieu de vie », qu’un pédagogue allemand des années 20 avait théorisé avant qu’un ministre de l’instruction du même pays ne l’applique à compter de février 1933 ? La nation est-elle l’exact contrepoint de l’internationalisme ou en est-elle la brique de base ? A ces questions vous vous garderez bien de répondre.

 

Vous faites de Marcel Déat un nationaliste. Votre lecture des écrits du leader « néosocialiste » puis collaborationniste semble donc s’être arrêtée à celle de l’opuscule édité par Max Bonnafous. Une lecture approfondie des Mémoires Politiques du condamné à mort de 1945 vous apprendra que ce dernier souhaitait voir s’édifier en Europe « une Union Européenne » ou une « Communauté européenne », qu’il pensait  nécessaire l’édification d’un pouvoir « technocratique » au niveau européen s’inspirant des doctrines fédérales et socialistes. Si vous complétez votre recherche par la lecture des œuvres de Céline vous apprendrez que Marcel Déat est tenté à Sigmaringen par la constitution d’une sorte d’Europe des régions dont la Lotharingie serait l’axe central. Déat n’avait rien d’un nationaliste mais tout d’un « européiste communautaire ». Allez à Bruxelles, Monsieur Terray, vous y trouverez plus de « déatistes » qu’au sein de la Cité de Paradis. Je serais tenté de vous dire d’en parler à un haut dirigeant de notre pays qui pourra certainement mieux vous renseigner sur les réalités du déatisme… par expérience familiale sans doute.

 

Etre internationaliste, Monsieur Terray, c’est justement s’opposer à l’européisme communautaire, à la « gouvernance mondiale et européenne » vantée par Romano Prodi et la Banque Mondiale. Que Jean-Pierre Chevènement ne soit pas « supranationaliste », c’est à dire qu’il ne soit pas pour un pouvoir réel déconnecté du seul champ d’expression démocratique inventé jusqu’à ce jour qu’est la nation, c’est certain. Mais Jean-Pierre Chevènement est, à l’instar du Charles de Gaulle du discours de Phnom Penh, profondément attaché à la solidarité entre la France et les pays des autres continents. La France n’a pas de « clientèle », elle n’a que des partenaires égaux. Enfin vous apprendrez qu’en plus de Jaurès, Mendès, Saint-Just ou De Gaulle la figure la plus populaire chez les jeunes chevènementistes est celle… d’Allende… curieux pour des nationalistes.

 

Vous savez parfaitement que toute la gauche opposée en 1955 à l’indépendance de l’Algérie l’était par idéalisme assimilationniste et a souvent dénoncé la torture. Vous savez aussi que le CERES a été constitué en grande partie d’opposants à cette guerre et aux pratiques mises en place par les amis de François Mitterrand.

 

Enfin pour vous Monsieur Chevènement serait victime de la « peur de la liberté ». Il vous manque peut-être l’expérience du terrain. Il vous manque peut- être, Monsieur Terray, la rencontre avec les défavorisés, les victimes de la « liberté » qui sont en fait les victimes des libertés prises par les puissants à leur égard. Oui nous voulons protéger nos concitoyens contre la loi de la jungle et si cela nécessite de nous voir affublés du slogan « ordre, autorité, nation », alors oui nous l’accepterons. Dans le regard d’un salarié licencié, dans le regard d’un professeur bousculé, dans le regard d’un policier blessé, d’un médecin agressé, d’un « beur » discriminé, d’une infirmière méprisée, d’un routier surmené et dans le regard de tous ces citoyens que l’on a jugés indignes de prendre la parole, nous puisons la force de mener notre combat et acceptons que vous nous qualifiiez de « néo-républicains » ou que sais-je encore… Mais pour comprendre tous ces gens, pour comprendre l’attente de nos concitoyens il vous faudrait Monsieur Terray un peu… d’humanité peut-être et en tous cas un peu d’honnêteté intellectuelle.

 

Votre passion pour la liberté… enfin vos « libertés » vous vient de Mai 68. Mais vous n’avez jamais vu cet événement comme ce qu’il a réellement été c’est à dire l’acte de naissance de la néo-bourgeoisie libérale-libertaire qui, réfugiée sur son Olympe de demi-dieux du néolibéralisme éclaire, déplore que le peuple, cette chose vile, ne soit pas aussi intelligent qu’elle, aussi jouisseur et spéculateur qu’elle. Bref elle lui reproche de croire encore au travail, à l’instruction, à l’égalité… Mai 68, c’est l’énième dimension des élites bien-pensantes et le Wallalah des bobos… On a les mythes qu’on peut, nous ne vous enlèverons pas celui-ci…

 

Les citoyens ont maintenant compris que leur salut ne viendrait pas des bonnes âmes libérales des beaux quartiers de droite.